Religion et confinement : le gouvernement ne doit pas empêcher les croyants de célébrer leurs grandes fêtes

jeudi 2 avril 2020


Religion et confinement : le gouvernement ne doit pas empêcher les croyants de célébrer leurs grandes fêtes



« Pour Guillaume Drago, professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas, Christophe Eoche-Duval, haut fonctionnaire et Geoffroy de Vries, avocat à la Cour, les décrets de confinement laissent la possibilité aux fidèles de célébrer les grandes fêtes religieuses des prochaines semaines.

En cette période difficile de confinement pour tous les Français, chacun comprend qu’il faut prendre sur soi et adopter une attitude civique en respectant les consignes gouvernementales de restriction aux déplacements et aux contacts entre les personnes. Ce moment est aussi une source de grandes souffrances : malades à traiter en urgence, décès nombreux et brusques, souffrances des malades et des soignants de ne pouvoir répondre comme ils le souhaiteraient à une épidémie qui nous dépasse tous.

Mais justement, ce moment est l’occasion d’un retour sur soi, d’une forme de retirement de la personne sur ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent au plus profond d’elle-même, un appel à la transcendance que l’on connaît lorsque les enjeux sont ceux de la vie, de la souffrance, de la mort peut-être. Les religions ont une fonction fondamentale à jouer dans ces moments-là. Elles contribuent à redonner du lien social, de façon mystérieuse, là où les relations courantes sont interrompues.

C’est dire que l’exercice de sa religion est pour chacun vital, dans tous les sens du terme.

La liberté religieuse n’est pas réductible à une liberté publique générale
Plus concrètement, et du point du vue du droit, la liberté religieuse n’est pas réductible à une liberté publique générale, elle a deux volets : une dimension d’ordre intérieur et individuel mais aussi une manifestation d’ordre extérieur et collectif.
Chacun comprend bien que les mesures de police sanitaires s’appliquent à tous mais le caractère fondamental et constitutionnel de la liberté religieuse implique que l’Etat concilie ces mesures sanitaires avec l’exercice sécurisé de cette liberté. Certes, la liberté religieuse dans l’ordre privé et intime n’est pas remise en cause dans le contexte du Covid-19. Chacun est souverainement libre de prier, malgré la pandémie et les mesures de police sanitaire prescrivant le confinement.

Mais si la pandémie impose des mesures de précaution traduites par les règles sanitaires, ces mesures peuvent-elles aller jusqu’à interdire ou restreindre fortement l’autre volet de la liberté religieuse, ses manifestations d’ordre extérieur et collectif ? Tenu par sa Constitution et ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme, l’État ne doit-il pas permettre que les manifestations publiques des cultes se maintiennent, certes dans des conditions différentes, tout en étant sûres ?
En avril 2020, trois grandes fêtes ont lieu : la fête de Pessah pour la confession israélite, mercredi 8 avril, la fête de Pâques dimanche 12 avril pour les chrétiens, le début du Ramadan jeudi 23 avril pour les musulmans.

Contrairement au discours de l’État, les rassemblements de moins de 100 personnes restent autorisés

A la lecture du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, on comprend que, contrairement au discours tenu jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, et malgré une contradiction interne au texte, les « rassemblement(s), réunion(s) ou activité(s) mettant en présence de manière simultanée » « en milieu clos ou ouvert » sont autorisés dès lors qu’ils rassemblent moins de 100 personnes, selon l’article 7 du décret.

Il apparaît donc que les responsables des cultes de notre pays peuvent utiliser cette possibilité, en prenant les mesures de précaution adéquates, afin de permettre à leurs fidèles de manifester l’expression de leur foi en ces trois fêtes fondamentales pour leur confession. Cette organisation pourrait être encadrée par le bénévolat sanitaire confessionnel (l’Ordre de Malte, les organisations de secours des différentes confessions, etc.) qui bénéficie d’équipements au titre de l’arrêté du 23 mars 2020 mettant en application les règles sanitaires indispensables.

Concrètement, les églises, temples, synagogues et mosquées ouverts comme l’autorise expressément l’article 8 du décret du 23 mars 2020, pourraient permettre l’organisation des cultes durant ce mois d’avril, et notamment, pour les chrétiens durant la Semaine Sainte et les fêtes pascales, avec les mesures sanitaires adéquates (nombre limité par cérémonie avec inscriptions préalables, espace entre les personnes, distribution des sacrements avec les mesures « barrière » préconisées, etc.). De même, les églises pourraient exposer le Saint-Sacrement ou des reliques à l’adoration et à la vénération de leurs fidèles dans des condition analogues d’encadrement, pour le jour de Pâques, sommet de l’année liturgique.

Les aumôniers des établissements de santé doivent être reconnus comme professionnels bénéficiant d’accès aux stocks de masques

Un autre point mérite aussi d’être appelé à l’attention des autorités publiques, comptables du libre exercice des cultes et de la liberté de conscience conformément à l’article 1 de la loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat : l’exercice des aumôneries confessionnelles en secteur hospitalier, et le libre exercice de l’assistance spirituelle aux malades par les ministres des cultes, actuellement soumis au bon vouloir des directions des hôpitaux ou des chefs de service. Car l’article R. 1112-46 du Code de la santé publique le rappelle : « Les hospitalisés doivent être mis en mesure de participer à l’exercice de leur culte. Ils reçoivent, sur demande de leur part adressée à l’administration de l’établissement, la visite du ministre du culte de leur choix. »

Enfin, au-delà de la mission d’assistance des aumôniers ainsi reconnue, il existe, pour chaque religion, un devoir d’assistance spirituelle aux malades non nécessairement déjà hospitalisés. Ainsi, s’agissant de la religion catholique, il s’agit même d’un devoir du prêtre (article 1003 du code de droit canonique). Les mesures sanitaires prises par l’Etat ne peuvent les méconnaître, soit par un flou soit par des interdictions implicites. Ainsi la liberté d’aller et venir, avec mesures de protections, doit être mieux reconnue dans le décret du 23 mars 2020, autrement que par la tolérance induite des instructions du ministère de l’Intérieur, appliquées de façon différenciée sur le territoire. Les aumôniers d’établissements de santé et les ministres du culte portant assistance aux malades devraient être reconnus par l’arrêté du 24 mars 2020 parmi les « professionnels » bénéficiant d’accès aux stocks « nationaux » de masques de protection, pour se prémunir eux-mêmes tout en exerçant leur mission.

La « guerre » contre la pandémie, pour reprendre l’expression du président de la République, ne peut se gagner sans le concours de tous. Les représentants des cultes ont, dans ce type de « guerre », une expérience multiséculaire dont aucun Etat moderne ne saurait se passer. « L’Eglise est experte en humanité » disait Paul VI. Elle sait parler aux hommes de notre temps, soignant les âmes et les cœurs, aux côtés de ceux qui soignent les corps souffrants. »

Par Geoffroy de Vries, Guillaume Drago et Christophe Eoche-Duval
Lundi 30 mars 2020

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